Bouddhisme Esotérique Mikkyō

Etude

Bouddhisme Esotérique Mikkyō

Mikkyō (密教) signifie littéralement “enseignement ésotérique” ou “enseignement mystérieux” et désigne le bouddhisme tantrique japonais. Il est divisé en deux catégories :

  • le tōmitsu (東密 – “ésotérisme du temple de l’est”) qui désigne le bouddhisme tantrique pratiqué dans l’école Shingon par référence au temple Tō-ji (東寺) qui est un des centres de ce culte
  • le taimitsu (台密 – “ésotérisme du Tendai”) qui est pratiqué, comme son nom l’indique, dans l’école Tendai.

C’est ce même mikkyō qui a été introduit dans les techniques mentales et spirituelles du budō (武道) – le karaté-do, le judo, l’aïkido et le kendo pour ne citer qu’eux. C’est également ce même mikkyō que l’on retrouve dans les enseignent du système Usui Reiki Ryōhō.

Théorie Vs Pratique

D’une manière générale, ce qui est exotérique est considéré comme théorique ou apparent (kengyō 顕教) et ce qui est ésotérique (mikkyō) en est l’application pratique.

Les samouraïs ont longtemps cherché comment maximiser leur efficacité dans l’art du combat. Ils ont découvert que des facultés mentales comme la concentration ou l’équanimité, voire les facultés psychiques comme l’intuition pouvaient faire la différence entre deux experts techniquement égaux. L’aspect psychologique du combat a donc été considéré comme d’une importance aussi grande que les techniques du corps. C’est ainsi que les experts et les maîtres en arts-martiaux se sont efforcés d’éclairer tout ce qui pouvait accroître les pouvoirs psychiques “surnaturels” latents existant dans chaque être humain. Ils ont pour cela puisé dans le mikkyō du Shintoïsme et du Taoïsme, mais surtout dans les techniques secrètes des Yamabushis, ces ascètes de montagne pratiquant le shugendō 修験道 – “le chemin de la formation et de l’essai”. Les samouraïs ont également emprunté les techniques secrètes du mikkyō du maître Kūkai, comme les récitations de mantras, la pratique des mudras et la visualisation de mandalas. Ainsi, dans le Japon ancien, on ne séparait pas le shin (l’esprit), le gi, (la technique) et le tai (le corps). Miyamoto Musashi énonçait :

  1. N’être jamais cupide durant toute la vie
  2. N’avoir aucun regret dans les affaires.
  3. Ne jamais jalouser autrui en bien ou en mal.
  4. Éviter toutes pensées perverses
  5. Ne rien faire d’inutile.

Dans les écoles traditionnelles d’art-martiaux (ryū), le mikkyō constitue encore la partie secrète de l’enseignement (Okuden, comme le Niveau II du système Usui Reiki Ryōhō). Malheureusement, dans les systèmes neo-Reiki, l’esprit occidental du “je paye donc j’obtient (vite) et je monétise” a soufflé la flamme du mikkyō. Certain(e)s maîtres-enseignants vont même jusqu’à ignorer sa présence. Rappelons qu’Usui-san – dont ils sont censés suivre l’enseignement – était un érudit et un adepte accompli de nombreuses pratiques, et que toute sa vie a été centrée sur la recherche de l’Eveil via le mikkyō, seul sentier à pouvoir lui offrir la réalisation de ses idéaux les plus élevés. C’est ainsi qu’il s’adonna à l’ascétisme du mont Kurama, qu’il étudia le shingon et qu’il s’adonna aux pratiques ésotériques de la secte Ōmoto-kyō.

Comprendre le mikkyō

Les anciens uchideshis (les disciples intimes qui vivent avec le maître, sous son toit) d’Usui-san devaient ainsi certainement être (souvent) dépassés par son enseignement. Une partie du mikkyō pratiqué par le maître concernait la science des sons (kototama) contenue dans un ouvrage profondément ésotérique écrit par le révérend Deguchi et intitulé Reikai Monogatari – “Récit du monde spirituel “. Cette œuvre, d’une grande profondeur par rapport aux kamis et aux moyens de coopérer à leur dessein, me semble avoir illuminé la vision et l’inspiration de l’Esprit d’Usui-san..et forcément de sa pratique, laquelle n’est nullement une synthèse des différentes influences (pratiques et croyances) auxquelles il a été soumis sur son chemin, mais plutôt l’expression libérée de son Esprit.

Ignorer que le mikkyō existe dans le système Usui Reiki Ryōhō, c’est emprunter un chemin qui ignore les fondement même de notre pratique. Lorsque le feu de la sagesse et de l’illumination grandit dans la conscience d’un homme tel que Mikao Usui, seule l’ascèse et la science transcendantale du mikkyō peuvent lui apporter l’aide nécessaire en vue de continuer sa Voie vers l’Eveil. Les principes secrets enseignés sont alors un fil conducteur destiné à poursuivre l’approfondissement de son art. Pour Usui-san, chaque jour devait être shugyō (entraînement et ascèse). Nous connaissons tous les résultats stupéfiants de ses pratiques ésotériques qui se traduisirent par cet Anshin Ritsumei (terme d’origine confucianiste, qui veut dire “trouver une paix intérieure et se confier à son destin”, que l’on nomme aussi Illumination), qui se manifesta à travers ce que le maître maîtrisait le mieux: l’art de la syntonisation. On peut dire que l’expression ésotérique du système Usui Reiki Ryōhō n’est rien d’autre que l’accès à la supra-conscience de l’Esprit, la reconnaissance de son identité avec le Grand Bouddha Illuminateur – Dainichi Nyorai 大日如來 – par la pratique et l’étude des trois mystères – sanmitsu – du corps, de la parole/bouche et de la pensée/intention. C’est là que se trouve notre source, notre vérité supérieure, ce lieu saint d’où jaillit spontanément notre Essence.

On peut maintenant se poser la question de ce que renferme le mikkyō. Le sujet est trop vaste, mais en prenant le mikkyō shingon comme exemple, on peut dire qu’il cherche avant tout à fondre la conscience fragmentée de l’individu dans l’universelle Unité du Soi. Il repose avant tout sur les enseignements contenus dans les sûtra Dainichi-kyō 大日經 (skt. Mahâvairocana sûtra) et Kongōchō-gyō 金剛頂経 (skt. Sarvatathâgatatattvasamgraha sûtra). Il se propose de faire atteindre à l’adepte l’Eveil, la reconnaissance de son identité avec Dainichi Nyorai – par la pratique et l’étude des trois mystères (sammitsu ou sanhimitsu 三密 ). En effet, “tout ce qu’on voit dans le monde est une manifestation du corps du Bouddha et constitue le mystère du corps du Bouddha ; tous les sons de l’univers sont le mystère de la parole du Bouddha ; toutes les formes de pensée sont le mystère de la pensée du Bouddha. Le Bouddha et les êtres étant identiques (. . .) il nous est possible de retrouver cette identité grâce aux pratiques fondées sur le principe de l’union des Trois Mystères” (B. Frank, 1986).

Pour ce faire, le mikkyō de l’Ecole Shingon propose une triple pratique basée sur :

  • le mystère – de l’action – du corps (shinmitsu). Shin se réfère au corps physique, au véhicule d’incarnation. Ce mystère s’appelle Shu-in et il correspond à l’action. L’adepte réalise avec ses mains des “sceaux”(ingei 印契 / skt. “mudra”) qui expriment les voeux fondamentaux (honzei 本誓), les cinq doigts correspondant au Gorin (skt. Stupa). Le fait de relier la forme (mudra), avec son (mantra) permet de s’unifier avec l’Esprit.
  • le mystère de la bouche (kumitsu). Ku se réfère à la parole. Ce mystère s’appelle Shingon. A toute forme correspond un son, une note, et une couleur. La maîtrise de la fréquence permet de maîtriser la forme. Le mantra remplit le méditant d’une onde vibratoire. Les mantras sont tous reliés à des divinités qui expriment certaines des qualités de Bouddha. La puissance du contrôle du son amène à rentrer en communion, à être à l’unisson du plan de conscience supérieur au plan humain et permet au récitant de s’identifier à la divinité et d’en acquérir les qualités. Cette science a été largement démontrée en Inde. Le sanskrit a été érigé au rang d’art sacré, la maîtrise des sons permettant ce qui peut apparaitre comme des miracles aux yeux du profane.
  • le mystère de l’intention / le mystère mental (imitsu). I se réfère à l’esprit. Ce mystère s’appelle Kannen. Le pouvoir de la pensée est de diriger l’énergie, tout comme celui qui visualise Bouddha en son cœur finira par devenir Bouddha. 
  • Mitsu se réfère à une “fonction secrète”.

Par ces trois mystères (pensée-parole-action), nous exprimons le Mystère du Bouddha qui est Esprit, âme et corps et que l’on peut aussi traduire par volonté, amour et intelligence divine. Le Reiki ne peut s’exprimer en perfection qu’en manifestant ces trois principes dans l’unité. Le véritable mikkyō ne conduit pas le pratiquant vers l’acquisition de pouvoirs comme la télépathie, l’invisibilité, etc… mais vers le monde des vibrations les plus élevées de l’Esprit. Cela n’empêche pas celui qui possède la maîtrise de son ego d’être, en tant qu’âme libérée, à même d’utiliser pour le service ses pouvoirs considérés comme de simples conséquences de ses pratiques et non comme un but en soi.

Ces pratiques et ces exercices ne se rencontrent dans aucun autre courant du bouddhisme, probablement parce que si la doctrine du mikkyō est basée sur la dernière période des Sūtras (les enseignements et écritures du Bouddhisme), elle a également incorporé tous les enseignements antérieurs et a absorbé beaucoup d’éléments propres aux religions indiennes non bouddhistes, particulièrement aux écoles tantriques. C’est pourquoi, tout en conservant au moins formellement l’enseignement du Bouddha Sàkyamuni, il peut apparaître comme une sorte d’indianisation du bouddhisme aux puristes, alors que pour ses adeptes il en est le parachèvement. Mais, comme sa doctrine était d’un abord malaisé, ce qui attira surtout les fidèles, ce fut la splendeur de ses rites dont la complexité et le mystère semblaient être les garants d’une plus grande efficacité. Aucun vœu ne paraissait hors de portée des mantras prononcés par des moines forts d’une longue ascèse. Aux yeux de beaucoup, le mikkyō ne devint qu’un ensemble de pratiques magiques destinées à réaliser avant tout des bénéfices en ce monde (genze riyaku)

La Voie perdue de l’Eveil

Usui-san devait avoir atteint l’illumination de la conscience et l’éveil de ses facultés psychiques. Il devait certainement les manifester aux yeux de ses élèves de manière à leur montrer qu’au-delà de la matière et de la forme concrète, il existe une conscience indépendante et que, lorsque cette conscience est délivrée des scories de l’égoïsme et de l’égocentrisme, elle devient universelle et peut accomplir des choses merveilleuses – bien que naturelles. 

L’éveil de facultés psychiques n’est pas synonyme de haute spiritualité et le contrôle des forces et des énergies peut être utilisé pour le bien comme pour le mal, d’où la prudence à ne pas dévoiler certaines techniques à des gens ambitieux dont les objectifs ne sont pas exclusivement spirituels. On peut donc dire qu’il existe deux formes de mikkyō: une pure (jummitsu) et une “mélangée” (zômitsu). En bref, dire que le mikkyō n’existe pas au cœur du système Reiki équivaudrait à affirmer qu’un homme est un simple agrégat d’atomes sans âme. C’est un peu ce que l’on reproche à certains systèmes néo-Reiki occidentaux: parfois sans âme et souvent généralistes, l’entraînement spirituel y est inexistant. Résultat: personne n’a la moindre chance d’atteindre un quelconque Eveil.

En écrivant ces lignes, je ne cherche nullement à convaincre, car la foi vient du dedans. Je me suis simplement efforcé de montrer que l’ésotérisme ou mikkyō est une voie royale, une voie de pureté spirituelle vers le centre divin. Que ceux qui sentent la nécessité de s’engager sur le sentier du retour vers Soi fassent de leur pratique disciplinée, une prière en action. Au final, peut-être que le Reiki n’est que Cela.

Aymeric.G
1 commentaire
  • David Lerouge
    Répondre

    Très intéressant ! Merci

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