Tendai et la pensée de l’Eveil Originel – Partie 1

Explorations

Tendai et la pensée de l’Eveil Originel – Partie…

Premiers siècles – Du Prince Shokotu à Saicho et Kukai

Prince Shotoku (574-622)

Selon le Nihonshoki 日本書紀 (Chronique du Japon), le bouddhisme entra officiellement au Japon depuis la Corée en 552, lorsque le roi Seong de Baekje envoya une mission à l’empereur Kinmei, comprenant une statue dorée du Bouddha et un certain nombre de sutras. L’empereur donna la statue au clan Soga, qui soutenait le bouddhisme et en 584, les aristocrates du clan procédèrent aux ordinations monastiques de trois religieuses avec l’aide d’un moine et d’une nonne coréens.

En 592, le clan Soga vainquit le clan rival des Mononobe, qui soutenait les kami indigènes et la petite-fille du chef des Soga fut intronisée en tant qu’Impératrice Suiko. Servant de régent, le prince Shotoku (574-622), considéré par de nombreux Japonais comme le fondateur de l’État japonais, rédigea la Constitution en dix-sept articles et composa trois Commentaires sur le Bouddhisme, qui jouèrent un rôle important dans le développement du bouddhisme au Japon au cours des siècles suivants.

Prince Shotoku

Thomas Kasulis explique que le confucianisme, qui était entré au Japon au début du Ve siècle avec l’introduction de l’écriture, avait fourni au nouvel État des fondements de base. Le prince Shotoku était donc confronté à la tâche d’harmoniser les valeurs bouddhistes avec les principes confucéens ainsi qu’avec le culte proto-shinto natif. Dans l’ensemble, ce qui en a résulté est un État japonais avec un système socio-politique confucéen hiérarchique, dirigé par un empereur (ou une impératrice) dont l’autorité était basée sur la descendance du kami soleil Amaterasu, plutôt que sur le “mandat du ciel”, comme cela était le cas en Chine. Quant à ses habitants, ils se voyaient avant tout comme des adorateurs de kami, et, pour beaucoup, en même temps, des pratiquants bouddhistes porteurs de valeurs égalitaires concernant l’accessibilité du Dharma à tous, quelle que soit leur position dans la société et leur situation karmique.

Les Commentaires sur le Bouddhisme du Prince Shotoku se sont concentrés sur trois sutras bouddhistes, à savoir le Sutra du Lotus, le Sutra Shoman (Skt Srimala) et le Sutra Yuima (Skt Vimalakirti). Bien que, bien sûr, de nombreux autres textes aient été introduits ultérieurement par des moines ayant voyagé en Chine, il est bon de garder à l’esprit que la plupart des Japonais ont appris les enseignements originaux du Bouddha principalement à travers des textes comme le Sutra du Lotus, plutôt que le Canon Pali.

Kasulis écrit : “Le Sutra du Lotus – sans doute le texte sacré le plus influent de l’histoire du bouddhisme japonais – met l’accent sur la disponibilité universelle de l’éveil, la nécessité d’adapter les enseignements au public et la théorie du Shakyamuni Bouddha cosmique (ou “éternel”) qui est la source de tous les autres bouddhas, y compris l’historique Shakyamuni qui a fondé la religion il y a vingt-cinq siècles.” En termes simples, le Sutra du Lotus met l’accent sur l’inclusivité.

Le Sutra Shoman (ou le Sutra du Rugissement) est le prêche d’une reine bouddhiste éclairée – Shrimala (Jap Shoman), fille du Roi Prasenajit du Kosala. Ce sutra expose la théorie du Véhicule Unique et précise que la nature de Bouddha est inhérente à tous les êtres sensibles. Il a été choisi pour souligner la responsabilité du monarque de gouverner d’une manière qui encourage la pratique bouddhiste.

Le troisième texte, le Sutra Yuima, mieux connu sous le nom de Sutra Vimalakirti ou Sutra du Nom Pur, se concentre sur un profane éclairé (Vimalakirti) qui donne un sermon aux êtres célestes et aux disciples les plus avancés du Bouddha, déclarant que la vacuité est le fondement à la fois de la sagesse et de la compassion. Pris ensemble avec le Sutra Shoman, nous pouvons voir ici l’accent mis sur le bouddhisme en tant que religion pour une sangha laïque dans un contexte socio-politique, plutôt que pour des moines individuels cherchant la libération dans un cadre monastique.

Kasulis énumère trois axes dans Les Commentaires de Shotoku : la disponibilité de l’éveil pour tout le monde ; un rejet de la spiritualité d’un autre monde en faveur de l’activisme social ; et une croyance en l’émergence des vertus du cœur, qui s’écarte du conseil confucéen selon lequel il faut modeler son comportement social sur celui des anciens sages. “Au fil du temps, l’accent mis sur l’esprit comme intrinsèquement bon allait évoluer de sorte que les Japonais acceptèrent facilement l’hypothèse importée selon laquelle l’éveil est inhérent : il suffit de le réaliser, de le manifester ou de l’initialiser plutôt que de l’atteindre.”
Déjà évoqué dans l’influent Réveil de la Foi dans le Mahayana, et exploré provisoirement, bien que sous d’autres noms, dans le travail de systématisation mené par Zhiyi, le fondateur de l’école chinoise Tiantai, tous deux remontant au VIe siècle, ainsi que dans le Sutra de la Plateforme de Huineng et les écoles chinoises Huayan et Chan, c’est au Japon que la doctrine de l’éveil inhérent (hongaku) a atteint son plus haut degré de sophistication, d’abord dans les écoles Tendai et Shingon, mais aussi dans le Zen, avec Dogen qui le mit au cœur de sa quête en demandant : “Si nous sommes déjà éveillés, pourquoi avons-nous besoin de pratiquer ?” Bien qu’elle ne soit pas explicitement mentionnée dans les écrits de l’école de Kyoto, puisque des termes empruntés à la philosophie occidentale sont utilisés dans ces textes, la doctrine hongaku a clairement façonné la pensée de ses penseurs, pour qui, selon les mots de Nakamura Hajime, “le phénoménal est en fait le réel”.

Les six écoles de Nara

Peu après la mort du prince Shotoku en 622, la famille Soga, qui avait fortement soutenu le bouddhisme, tombe du pouvoir à la suite d’un coup d’État qui voit la famille Fujiwara s’emparer du trône pour une période qui va durer un demi-millénaire. L’événement marqua l’entrée du Japon sur la scène mondiale et déclencha trois projets ambitieux: 
– En 710, une nouvelle capitale inspirée de la capitale Tang à Chang’an fut construite à Nara.
– En 712, le Kokiji (Chronique des Faits Anciens) fut achevé : il s’agit d’une compilation de l’orature japonaise indigène – mythes anciens, généalogies impériales, incantations proto-shinto et poésie.
– En 720, le Nihonshoki fut rédigé dans un style imitant les histoires dynastiques de la Chine, pour promouvoir la nouvelle nation lors de futures rencontres avec des représentants d’autres pays.

La période Nara (710-784) a vu un flux continu d’enseignements bouddhistes importés de Chine. Elle bénéficia également du soutien de l’empereur Shomu (701-756) qui fit construire le Grand Temple de l’Est (Todai-ji) et quitta tôt le trône pour devenir moine. Cela conduit à la création des six écoles Nara – Ritsu, Kusha, Jojitsu, Sanron, Hosso et Kegon – quatre d’entre elles Mahayana – Sanron, Hosso, Kegon et l’école quasi-Mahayana Kusha. Aucune des six écoles n’existe aujourd’hui au Japon en tant que formes proéminentes du bouddhisme à part entière. Dans le cas de l’école Kegon, cependant, même si elle n’a pas survécu en tant qu’école au Japon, sa vision de la réalité a été adoptée par la plupart des écoles bouddhistes japonaises, y compris l’école quasi contemporaine de Kyoto. Selon les mots de Thomas Kasulis, l’école Kegon, dérivée de l’école chinoise Huayan, soutenait que “la totalité de la réalité est si entrelacée que chaque chose dépend en fin de compte de l’existence de toutes les autres choses”. Pas seulement “quelques autres choses ou des choses” comme l’enseigne le Bouddha Sakyamuni dans la doctrine de l’origine co-dépendante, mais “chaque chose est interdépendante de tout le reste”. Dans sa formulation la plus profonde, “les phénomènes sont interdépendants par leur propre nature intrinsèque plutôt que liés par des principes externes. Par conséquent, il s’agit d’un passage d’une vision du monde liée à l’extérieur à une vue liée à l’intérieur”.

Saicho et Kūkai, fondateurs des écoles Tendai et Shingon

En 794, la capitale fut de nouveau déplacée, cette fois à Heian-kyo (l’actuelle Kyoto) et la période Heian (794-1185) commença. Tout aussi importante du point de vue du développement du bouddhisme fut, en 804, une expédition parrainée par le gouvernement qui se rendit en Chine, à laquelle Saicho (766/7-822) et Kūkai (774-835) participèrent. Saicho voulait sécuriser la lignée de l’école chinoise Tiantai afin d’obtenir de l’empereur du Japon l’autorisation officielle de fonder l’école japonaise Tendai. Kūkai quant à lui, voulait en savoir plus sur le Tantra Mahāvairocana, qui était devenu très recherché en Chine, où un nouvel intérêt pour les enseignements ésotériques s’était développé.

Modèle miniature de l’ancienne capitale Heian-kyō

Sous le nom japonais de Dainishi (le Bouddha du Soleil), Mahāvairocana est désigné par les érudits comme le Bouddha cosmique, Bouddha comme la réalité entière, ou la réalité entière comme Bouddha, c’est-à-dire comme “ainsi” ou “ainsité”. Les deux hommes ne se connaissaient pas et ne voyagèrent pas sur le même navire dans une flotte comptant quatre navires. De plus, leurs navires n’arrivèrent pas dans le même port chinois. Il est donc peu probable qu’ils se soient rencontrés pendant le voyage, même si certains le pensent. Après leur retour au Japon, ils développèrent une relation amicale qui dura plusieurs années (avant de rompre lorsque leurs deux écoles en vinrent à se concurrencer), ce qui permit à Saicho, le fondateur de l’école japonaise Tendai, de recevoir les enseignements ésotériques auxquels Kūkai avait été initié en Chine. Alors que ces enseignements ésotériques étaient considérés comme les enseignements les plus élevés de la nouvelle école Shingon de Kūkai, Saicho chercha à les intégrer aux enseignements du Sutra du Lotus de l’école Tendai.

Source: Thomas P. Kasulis – Engaging Japanese Philosophy

Retrouvez-moi dans mon prochain article: Saicho et Kukai – Les enseignements ésotériques entrent au Japon

Aymeric.G

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