Comme l’Eau, comme l’Air :Pratiquer sans (le) Soi

Développement Personnel

Comme l’Eau, comme l’Air :Pratiquer sans (le) Soi

par Aoyama Shundo Roshi

Partie 1 : Respectez la “glace” des autres en tant que Bouddha

A travers les rochers,
A travers les racines des arbres,
L’eau coule doucement,
Sans se plaindre

~ Kai Kazuko

Je voudrais être comme l’eau, ou comme l’air, et je le dis souvent à mes disciples. Cependant, je sais que je suis encore loin de réaliser ce souhait.

La chose la plus importante dans la pratique du Zen est de pratiquer le “non-soi”. Dogen Zenji1Fondateur de l’ école Zen Soto au Japon nous a dit : “Même si vous vous asseyez en zazen jusqu’à ce que le sol se brise, si votre zazen vient de l’ego, alors tous vos efforts seront vains”.

J’aimerais utiliser la métaphore suivante de l’eau et de la glace. L’eau et la glace sont faits de la même matière, mais la glace est solide et si l’eau gèle dans une tasse, vous ne pouvez pas la mettre dans un autre récipient. Si vous essayez de force, la tasse et la glace se briseront. Mais l’eau peut être versée dans n’importe quelle tasse ; elle peut traverser n’importe quel petit espace. L’eau n’endommage pas son contenant. Si vous utilisez de l’eau pour laver le sol, l’eau devient sale afin de rendre le sol propre.

Si vous êtes comme la glace, vous pouvez faire en sorte que les autres se transforment en glace. Les fleurs et les poissons gèleront aussi. Mais si vous êtes comme l’eau, les poissons peuvent vivre, les gens peuvent nager et les bateaux peuvent naviguer.

Veuillez comprendre qu’être éveillé par le Dharma et réchauffé par la compassion de Bouddha afin que la “glace” de l’égoïsme fonde, est le point le plus important de notre pratique. A Sodo, il faut vivre 24 heures sur 24 avec les autres, qu’on les aime ou non ou même qu’on les déteste. Parfois, vous pourriez avoir l’impression que la position ou l’arrangement qui vous est proposé n’est pas approprié. Dans notre formation, si le Soi est au centre de votre esprit, vous vous heurterez souvent aux autres, le travail sera stressant et les choses ne se feront pas en douceur.

Puisque nous sommes tous des gens imparfaits, nous nous heurtons souvent aux autres. Dans de telles occasions, nous blâmons généralement le côté opposé. Mais pensez-y : si un côté est comme l’eau, il n’y a pas de conflit du tout. En cas de problème, il est clair que les deux côtés sont comme de la glace. Nous pouvons donc dire que si voir la “glace” d’une autre personne vous fait réaliser que vous êtes aussi comme de la glace, vous pouvez vous incliner devant la glace de cette autre personne en tant que Bouddha.

Si vous ne réalisez pas que votre “glace” égoïste est plus dure et plus grande que celle de quelqu’un d’autre, je pense que vous ne pouvez pas apprendre ou suivre la sagesse du Bouddha et votre glace ne peut être fondue.

Ainsi, lorsque vous rencontrez une personne ou une tâche que vous n’aimez pas, c’est une bonne occasion d’observer votre propre égocentrisme. À ce moment-là, vous êtes bien placé pour faire fondre votre “glace” et devenir comme de l’eau.

Partie 2 : Marcher le long du chemin sinueux, aller tout droit

Il y a environ un demi-siècle, alors que j’étais à l’université, j’ai souvent rendu visite à Watanabe Genshu Zenji, le maître de Sojiji, qui avait plus de quatre-vingt-dix ans. Une fois, il fit appel à une jeune religieuse qui était sa nouvelle disciple et lui demanda : “Comment peut-on aller tout droit sur une route de montagne escarpée de quatre-vingt-dix-neuf virages ?” La nonne ne pu répondre. Alors Zenji-sama dit: “Marchez le long du chemin sinueux, allez tout droit.”

Lorsqu’on nous dit d’aller tout droit, nous pensons souvent que cela signifie forcer ou pousser notre chemin vers le haut d’une montagne ou d’une falaise. Les propos de Watanabe Zenji semblent plus souples. Tout comme au volant d’une voiture, parfois il y a un signal rouge inattendu et nous devons nous arrêter. Parfois, nous devons faire demi-tour et revenir en arrière; nous pensons avoir fait une erreur et nous sommes maintenant trop perdus pour continuer. Ou, il y a un panneau “interdiction de tourner à droite”, l’entretien de la route ou un accident de la circulation, et nous devons emprunter une déviation. Dans toutes ces circonstances inattendues, on oublie souvent de revenir sur la route principale.

Mais quand il y a un blocage dans un ruisseau, l’eau gagne en puissance et si elle prend un chemin détourné, le sol autour de la rive devient plus fertile. Ainsi, il ne faut pas oublier d’intervenir face à une situation donnée, d’organiser les choses et de réagir avec fluidité. Nous devons considérer le fait d’être gêné ou forcé de circuler, comme une bonne chance de grandir, de vivre plus profondément et fructueusement.

Partie 3 : La signification d’être transparent

Au XVIe siècle, le seigneur samouraï Kuroda possédait le surnom spécial de Josui, qui signifie “comme de l’eau”. Il assiégea le château de Takamachi en coupant son approvisionnement en eau, mais était un fervent adepte du christianisme. Par conséquent, il écrivit ces “Cinq Disciplines de l’Eau”.

  1. Eau ; agir spontanément et laisser les autres suivre
  2. Eau ; toujours à la recherche du chemin à parcourir
  3. Eau ; rencontrer des difficultés et augmenter cent fois sa force
  4. L’eau peut être à la fois propre et sale, lavant volontairement la saleté et les taches des autres
  5. L’eau est l’océan, les nuages, la pluie, la neige ou le brouillard, et lorsqu’elle est gelée, elle peut être un miroir. Mais à tout moment, l’eau est toujours de l’eau, son essence ne change pas

Je me souviens d’une femme qui venait à notre zazenkai2Pratique du bouddhisme zen. Il s’agit d’une période d’un ou quelques jours en méditation, assis. Il y a aussi les repas et des enseignements sur le dharma. Certains souhaitent rester sept heures en méditation dans la même journée. Ce concept est le même que pour une sesshin ou l’ango, sauf qu’il dure moins longtemps.. Elle a désormais ouvert un restaurant près du Mont Fuji. Un jour, j’y suis allé. C’était un restaurant très agréable et confortable et toute la vaisselle, les ornements et les fenêtres étaient en verre transparent. Elle m’a dit: “C’est parce que je veux être aussi clair et transparente que du verre.”

J’ai été profondément ému et j’ai dit : “Être transparent signifie n’avoir aucune couleur, forme ou odeur spécifique. Cela signifie que tout en vous a disparu, rendant claires d’autres couleurs, formes et odeurs.”

Sen no Rikyu a dit: “Les fleurs sans brume, ne valent pas d’être regardées”. La beauté des jardins et des pierres s’approfondit lorsqu’elles sont aspergées d’eau, mais en appréciant cette beauté, nous ne remarquons pas l’existence de l’eau. Le thé ou le café sont délicieux lorsqu’ils sont préparés avec de la bonne eau, mais bien sûr, s’il y a de la couleur ou de l’odeur dans l’eau, la boisson n’aura pas bon goût et pourrait même être nocive. Parce qu’elle n’a pas de goût, pas de couleur, pas d’odeur, pas de texture et pas de forme, l’eau peut entrer dans n’importe quoi et permet à tout d’exister tel quel. Ceci, à son tour, nous permet de réaliser beaucoup plus le mérite du matériau.

Le mot “transparent” a un sens si profond.

Partie 4 : Ne pas être reconnu

De la même manière que j’admire l’eau, je voudrais aussi être comme l’air.

On ne peut pas se passer d’air. Tout le monde le sait mais on l’oublie presque. Il est si important que nous ne pouvons pas vivre sans lui, même momentanément, et pourtant personne ne respecte ni n’apprécie l’air.

Pourtant, si nous reconnaissions et prêtions attention au fait que l’air nous rend vivants à chaque instant d’inspiration et d’expiration – si nous disions “merci” à l’air à chaque seconde – nous deviendrions fous. Comme il est merveilleux que la chose la plus importante ne soit pas reconnue et existe pleinement sans être remarquée.

Je voudrais dire que nous, les êtres humains, devrions être comme ça.

Dans le monde zen, nous disons des choses comme “ne pas savoir est le plus intime”. C’est le cas lors de l’apprentissage de la conduite automobile ou de l’apprentissage du thé. Lorsque vous pouvez conduire ou servir une tasse de thé sans porter une attention particulière, on peut dire que vous êtes mature dans cette compétence.

Dans le cas de votre santé, si vous sentez que votre estomac est ici ou que votre cœur est là, il est clair que votre estomac ou votre cœur n’est pas en bon état. De même, dans certaines langues, vous pouvez dire “je sens ma dent” et non “ma dent me fait mal”.

Le plus important pour notre existence n’est pas de dire “je suis ici !” Nous devrions en tirer des leçons.

Partie 5 : Comme l’océan, laisser entrer n’importe quel flux

L’océan accepte l’eau sans limite, créant de plus grands océans ~ Shobogenzo Bodaisatva Shishobo

Ta peine est ma peine
Ta joie est ma joie
Etre identiques
Et marcher ensemble
Telle est la voie du Bodhisatva

Voici l’histoire du peintre Ryozan. J’ai été touché d’apprendre que lorsqu’il était jeune, il a vu à la plage un petit enfant avec son père. L’enfant marchait très lentement avec un petit crabe en laisse, et le père marchait pas à pas avec l’enfant. Ils bougeaient à peine.

Ryozan a été tellement impressionné par cette image réconfortante qu’il a décidé de devenir peintre pour montrer aux gens ce genre de chaleur.

Nous pouvons apprendre de l’eau de l’océan et de l’eau des rivières l’enseignement du “Doji” (identification avec tous les êtres). L’océan ne fait pas la distinction entre la “rivière Kiso” et la “rivière Ooi”. Il ne dit pas “je laisserai entrer cette rivière et pas celle ci”. De même, le fleuve ne dira pas “je veux aller dans l’océan Pacifique, pas dans la mer du Japon”, même si un endroit est plus propre et l’autre pollué.

Bien que nous soyons nés pour être très égocentriques, j’espère que nous pourrons regarder toutes choses avec la lumière et la chaleur du Dharma. Petit à petit, nous pouvons devenir désintéressés comme l’eau.

Pour aller plus loin..

Aymeric.G

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