
Transmission initiatique Vs Contre-initiation
Quelques notions essentielles en matière d’initiation.
“Dans toute société traditionnelle, l’initiation est au centre de la vie; elle est, chez de soi-disant primitifs, au cœur de la vie tribale. Il s’agissait, il s’agira toujours de communiquer, de communier avec soi-même, avec la nature sacrée et peuplée, enfin avec les dieux ou avec Dieu. Il s’agira de rechercher la paix, en soi et hors de soi, le bonheur, l’harmonie, de devenir des hommes ou des femmes dignes de ce nom, capables de se tenir debout et, selon la vocation de chacun, de remplir la fonction confiée à l’homme, de médiateur entre le ciel et la terre.” ~ Serge Caillet
Nous l’avons vu dans un précédent article, le mot « initiation » est extrêmement galvaudé. De nos jours, on initie n’importe qui, à n’importe quoi..même à distance ! Son emploi dans des perspectives profanes lui a fait perdre son sens sacré et traditionnel. Il convient de redonner à ce terme sa valeur réelle, c’est-à-dire ce qu’il signifiait dans les écoles traditionnelles antiques: entrée et préparation à connaître les Mystères:
“Le temple ne s’ouvrait au néophyte qu’après les épreuves. L’initiation, c’était l’acte qui consistait à pénétrer dans le temple, en recevant d’un prêtre expérimenté la graine qui doit fructifier. C’est pourquoi, même dans le langage moderne, on appelle initié celui qui est entré dans la connaissance des mystères, et adepte celui qui a réussi à les réaliser. (…) On fait un grand abus du mot Initiation et tout le monde croit qu’il faut entendre par là le début d’une chose. Initiamenta, initiator, initium sont des mots païens comportant un double aspect: l’un courant, l’autre sacerdotal; (…) Initium est traduit dans les dictionnaires de langue latine par commencement (début); par contre, si on le lit conformément aux règles analytiques du temple, il signifie graine qui produit, c’est-à-dire, le principe de l’activité de la nature (de l’esprit et de la matière); (…) In-itio (itio, itionis, mouvement générateur, principe) représentait, dans le langage sacré de l’Antiquité, le souffle; Aussi, peut-on voir qu’initium n’est pas la même chose qu’in-itio 1 C’est-à-dire dans le principe – divin bien sûr; (…) Quand le néophyte était prêt, le maître s’avançait, l’accueillait et l’initiait; c’est-à-dire qu’il jetait en lui une graine destinée à produire des fruits; (…) L’initiation en pratique, c’est l’ensemble de toutes les opérations qu’un Maître Parfait peut pratiquer sur un disciple pour lui concéder, lui conférer, lui confirmer, les vertus cachées dans son organisme d’homme vulgaire et pour les développer en lui.” 2 Giuliano Kremmerz – The Hermetic Science of Transformation: The Initiatic Path of Natural and Divine Magic – Simon and Schuster, 2019
Pour se faire, faisons appel à René Guénon3Né le 15 novembre 1886 à Blois en France et mort le 7 janvier 1951 au Caire en Égypte, il a livré une trentaine d’ouvrages – régulièrement réédités depuis – qui ont trait principalement à la métaphysique, à l’ésotérisme et à la critique du monde moderne. Il y a déjà presque un siècle, cet auteur prolifique a entendu répondre au questionnement de son époque, sur l’initiation, la contre-initiation et la nature des spiritualités nouvelles, en faisant appel à la doctrine védique (sous-tendant le Bouddhisme), puis à la doctrine chinoise..entre autres.
De la nature spirituelle de la Transmission Initiatique
L’accession à la métaphysique – et à cette “vertu de sagesse transcendante“ à laquelle fait référence Usui-san, qui seule permet la Réalisation spirituelle – semble nécessairement conditionnée au rattachement de l’initié(e) à une lignée initiatique traditionnelle, une puissance sacerdotale qui plante chez celui/celle qui doit être initié(e), la graine permettant de pénétrer le sens des choses secrètes : elle est dépositaire d’une “influence spirituelle” qu’elle transmet à l’initié. Ce qui constitue la transmission initiatique, proprement dite, est comparable à l’influence spirituelle qui est mise en œuvre dans certains rites. En l’absence d’une telle transmission, il est impossible “d’arriver à s’affranchir jamais des entraves et des limitations du monde profane”.
En effet, “(…) les aptitudes ou possibilités incluses dans la nature individuelle ne sont tout d’abord, en elles-mêmes, qu’une matiera prima, c’est-à-dire une pure potentialité, où il n’est rien de développé ou de différencié ; c’est alors l’état chaotique et ténébreux, que le symbolisme initiatique fait précisément correspondre au monde profane, et dans lequel se trouve l’être qui n’est pas encore parvenu à la seconde naissance. Pour que ce chaos puisse commencer à prendre forme et à s’organiser, il faut qu’une “vibration initiale” lui soit communiquée par les puissances spirituelles, que la Genèse hébraïque désigne comme les Elohim (les dieux) ; cette vibration, c’est le Fiat Lux qui illumine le chaos, et qui est le point de départ nécessaire de tous les développements ultérieurs ; et, au point de vue initiatique, cette illumination est précisément constituée par la transmission de l’influence spirituelle” 4 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1946, pp. 33-34. .
L’initié(e) doit être rattaché(e) à une organisation authentiquement initiatique et véritablement détentrice de l’influence spirituelle, “ce qui exclut immédiatement toutes les formations pseudo-initiatiques, si nombreuses à notre époque” 5 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1946, pp. 33-34 , par exemple, la multitude de systèmes spirituels qui n’ont jamais eu le moindre contact avec leur Source, ni de manière détournée, et encore moins directement. Une telle organisation ne peut être constituée par la simple volonté de quelques individus : pour être véritablement “traditionnelle”, elle doit en effet , au même titre que les religions, être rattachée à un principe supérieur, “non-humain” et “transcendant”. Qui plus est, à ce rattachement “vertical” s’en superpose un autre, “horizontal” et historique, qui relie l’organisation initiatique aux origines de la collectivité sédentarisée : “ce à quoi s’applique le nom de tradition, c’est ce qui est en somme, dans son fond même, sinon forcément dans son expression extérieure, resté tel qu’il était à l’origine ; il s’agit donc bien là de quelque chose qui a été transmis, pourrait-on dire, d’un état antérieur de l’humanité à son état présent” 6 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1946, p.63 .
Toutefois et exceptionnellement, à défaut de maître et de lignée, une personne réceptive peut réaliser “spontanément” cet état originel, visé par l’initiation. Il ne s’agit pas d’auto-initiation, le profane ne pouvant s’initier lui-même. L’initié reste celui qui est mis sur la Voie, sur le chemin. Cela implique que l’on ne peut être initié que par un Maître (un Guru Indien, un Geron orthodoxe, un Cheikh musulman ou par une Confrérie initiatique). Dans des conditions rares de lieu et de temps, un individu pourra cependant recevoir une influence spirituelle de manière accidentelle et bénéficier de dons qui sont inhérents à une telle transmission spontanée. Cette influence est généralement obtenue par la Contemplation. Il semble bien que Mikao Usui ait bénéficié de cette forme d’Eveil, n’ayant reçu la connaissance du système Reiki de personne, comme il l’affirme lui-même, mais au sortir d’une ascèse “longue et difficile” sur le mont Kurama. Il reste tout de même qu’à sa suite, le système Reiki Usui dans son ensemble, devra être transmis par une lignée d’initiatrice.
De l’initiation virtuelle à l’initiation effective.
Intégrer dans et par une organisation / lignée traditionnelle constitue le premier pas vers l’initiation proprement dite. Tant que l’initié(e) n’a pas entamé son travail intérieur, l’initiation reste virtuelle. Le développement “acté” des possibilités auxquelles l’initiation virtuelle donne accès n’a donc lieu qu’à partir du moment ou l’élève se lance dans sont travail intérieur. L’initiation doit d’abord conduire l’Être au delà de tout état conditionné quel qu’il soit, son but essentiel étant de dépasser les possibilité de l’état individuel humain et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs de conscience. L’initié(e) est amené(e) à plonger de tout son Être – c’est à dire de tout son corps/esprit – dans le réel, à vivre et à expérimenter l’enseignement et non à le théoriser. Il se laisse couler dans le courant de la vie comme le courant de la vie coule en lui. Ensuite, l’initiation tend à réaliser l’unité de l’être: la personnalité (le Moi) du profane est composée de nombreux éléments sans coordination, parfois contradictoires (raison et sentiments)7Chez un certain nombre d’êtres humains, des conflits psychologiques peuvent même parfois aboutir à des fractures ou des névroses. Mais au milieu de ces éléments confus et disparates, il y a un Centre, un Cœur, une étincelle divine, la Présence, le Soi, l’Essence. Le processus initiatique éveille l’énergie spirituelle du Vrai Soi et rétablit l’harmonie dans le désordre de la personne. Être initié c’est atteindre le Soi, éveiller le Cœur, cueillir la “Fleur d’Or”8“La Fleur d’Or est le Kin-tan. Toutes les transformations de l’esprit dépendent du coeur. Ici existe un Art secret : sa précision est parfaite mais il sollicite intelligence et lucidité, concentration et calme absolus. Qui ne possède pas cette intelligence et cette compréhension élevées, la voie de l’application pratique lui échappe ; qui ne réalise pas cette immersion et ce calme extrêmes ne saurait s’y maintenir. (…) Le Maître se préoccupe ensuite d’éviter que les gens ne s’égarent sur la voie qui conduit de l’action consciente au non-agir inconscient. C’est pourquoi il dit : l’Art du Kin-Tan utilise l’action consciente pour aboutir au non agir inconscient.” ~ Lu Tsou (Lu Yen) – Traité de la Fleur d’Or p.64-65, retrouver la Vibration en chacun de nous et ainsi réaliser l’unité de son être et se reconnecter à l’univers qui nous entoure.
Cet “effort constant d’assimilation”, (qui fait de la transmission initiatique une voie “active”, que Guénon oppose à la passivité de la contemplation mystique) et les résultats qui en découlent pour l’initié, constituent “l’initiation effective”: “(…) entrer dans la voie, c’est l’initiation virtuelle ; suivre la voie, c’est l’initiation effective 9 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1946 “. Car ce n’est qu’à travers un travail initiatique personnel – puisque chacun porte en lui son propre Maître Intérieur (le Soi, l’Atman des Hindou, notre “Nature de Bouddha” des bouddhistes, etc…) – que l’on peut réaliser sa vraie nature, retrouver sa conscience originelle, communiquer avec le divin en soi. C’est ce qui explique l’importance d’une pratique effective et durable sous toutes ses formes. “La persévérance est la condition du progrès dans la Voie, et celle-ci n’a pas de limite” 10 Catherine Delorme, Le Chemin de Dieu – Editions Albin Michel, Paris, 1979 p.254.
Si on revient au système Usui Reiki Ryōhō, ce travail initiatique passe nécessairement par les auto-traitements, les techniques de traitements, les techniques de développement personnel, les méditations, la contemplation des symboles, la récitation des jumons, la réception de reiju, toutes les lectures liées aux études et aux recherches sur le système Reiki Usui, tous les exercices de présence et bien sûr, la mise en pratique des Règles de Vie – les Gokai – dans notre vie familiale, sociale et professionnelle. Comme l’a écrit Kabîr (कबीर) : “C’est une lutte âpre et fatigante, cette lutte du quêteur du vrai / chercheur de vérité: car le vœu du chercheur de vérité est plus dur que celui du guerrier ou de la veuve qui suivrait son mari. Les guerriers se battent pendant quelques heures, et la lutte de la veuve avec la mort est bientôt terminée; Mais la bataille du quêteur du vrai continue jour et nuit, sans trêve ni répit tout au long de sa vie.” 11 Song of Kabir, Poème XXXVII – Rabindranath Tagore – The Macmillan Company, New York, 1915 p.26
Le travail initiatique est essentiellement constitué par la “concentration”, qui doit tendre vers “l’unification de tous les éléments de l’être dans le travail intérieur, nécessaire pour que s’opère la “descente” de l’influence spirituelle au centre de cet être.” 12 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1946. La méditation sur les symboles et les jumons, et la participation aux rites des trois niveaux ont pour fonction de faciliter cette concentration et peuvent être comparés à un moyen de transport à l’aide duquel un homme parviendra plus vite et plus facilement au terme de son voyage, mais sans lequel il pourrait tout aussi bien y parvenir.
Cependant, observe Guénon, “beaucoup restent sur le seuil”, et ne parviennent jamais au moindre commencement de réalisation spirituelle. Les obstacles qui l’empêchent peuvent venir de l’organisation initiatique à laquelle l’individu est rattaché, “surtout dans les conditions actuelles du monde occidental (…); par suite de la dégénérescence de certaines organisations qui, devenues uniquement spéculatives (…) ne peuvent par là même les (les initiés qui y sont rattachés) aider en aucune façon pour le travail opératif, fût-ce dans ses stades les plus élémentaires, et ne leur fournissent rien qui puisse même leur permettre de soupçonner l’existence d’une réalisation quelconque.” 13 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1946, p. 198.
Si René Guénon vise ici la franc-maçonnerie, ses critiques peuvent s’appliquer aux formes de Reiki occidentales trop intellectualisées, où la pratique personnelle est négligée au profit d’attentes de retours financiers sur le court-terme, de spéculations philosophiques ou de transmission et d’utilisation de symboles et d’outils hétérodoxes n’appartenant pas au système originel traditionnel.
Les obstacles peuvent également venir de la personne même de l’initié, qui ne possède pas les qualifications requises pour actualiser son initiation : en effet, de même que dans le domaine des “activités profanes (…), ce qui est possible à l’un ne l’est pas à l’autre, et que, par exemple, l’exercice de tel ou tel métier, exige certaines aptitudes spéciales, mentales et corporelles à la fois”, il faut posséder “les aptitudes requises” pour accéder à la réalisation initiatique. Celles-ci peuvent être variables suivant les organisations initiatiques : chacune d’elles possédant sa “technique particulière, (…) elle ne pourra naturellement admettre que ceux qui seront capables de s’y conformer et d’en retirer un bénéfice effectif, ce qui suppose, quant aux qualifications, l’application de tout un ensemble de règles spéciales, valables seulement pour l’organisation considérée, et n’excluant aucunement, pour ceux qui seront écartés par là, la possibilité de trouver ailleurs une initiation équivalente, pourvu qu’ils possèdent les qualifications générales qui sont strictement indispensables dans tous les cas.” 14 René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions traditionnelles, Paris, 1964, p.99 Parmi ces qualifications générales, “la qualification essentielle, celle qui domine toutes les autres, est une question d’ “horizon intellectuel” plus ou moins étendu”.
“Petits Mystères” et “Grands Mystères” antiques.
La voie initiatique peut se diviser en deux grandes étapes, qui sont parfois considérées – selon Guénon à tort – comme deux types d’initiation différents : “l’initiation royale” et “l’initiation sacerdotale”, encore appelés – par référence aux doctrines antiques – les “Petits Mystères” et les “Grands Mystères”. En réalité, explique René Guénon, ces deux voies sont complémentaires, la première étant subordonnée à la seconde.
Les Petits Mystères, auxquels appartiennent les “sciences traditionnelles” (par exemple, l’alchimie ou l’astrologie) ont pour but de rétablir l’individu dans “l’état primordial”, l’état qui était celui de l’humanité aux origines et que Guénon, s’appuyant sur l’œuvre de Dante, rapproche du “Paradis terrestre”. Celui qui a atteint ce stade atteint ainsi “la plénitude de l’état humain”, qui est en même temps le “centre” de cet état.
Ce n’est qu’après avoir quitté le monde profane, vu comme un “enfer” (c’est à dire une source d’enfermement), et une fois parvenu à ce centre, qualifié de “purgatoire”, que l’initié peut “communiquer directement avec les états supérieurs de l’être” et accéder ainsi aux états supra-individuels qui, seuls, “ont pour domaine la connaissance métaphysique pure” et peuvent être véritablement qualifiés de “spirituels”.
À la fin de son cheminement dans les Petits Mystères, l’initié(e), libéré(e) de toutes les contingences, réalise ce que l’ésotérisme islamique nomme “l’Identité Suprême”, qui pour Dante 15 On a soupçonné depuis longtemps, et Dante lui-même le laisse entendre assez clairement, que le texte, de la Comédie renferme plusieurs sens cachés dont le sens apparent n’est qu’un voile, et qui doivent être recherchés par ceux qui sont capables de les pénétrer. Dans son ouvrage consacré à “L’ésotérisme de Dante”, René Guénon fait appel aux doctrines hindoues et islamiques (Dante, semble avoir eu connaissance de ces dernières) pour restituer le sens profond de la Comédie. Le chef d’oeuvre du Florentin retrace un processus de réalisation spirituelle où l’Enfer représente un épuisement des possibilités inférieures, qui sont dans l’état humain comme un vestige des états antérieurs de l’être, où le Purgatoire décrit le travail de purification qui aboutit à la restauration de l’ “état édénique”, et où le Paradis expose la conquête des états supra-humains à travers la hiérarchie des cieux planétaires. On pense bien que, dans un pareil travail, l’auteur a de multiples occasions d’apporter des éclaircissements sur de nombreux points touchant aux sciences traditionnelles, le symbolisme des nombres, la doctrine des cycles cosmiques et le “Grand Oeuvre” des hermétistes. est “le Paradis céleste”, et qu’il devient ainsi “l’Homme Universel” (notons que l’idéogramme chinois désignant cet Être, est au cœur du kanji du terme “Reiki”).
Ce processus a été décrit par Dante, dans sa “Comédie” comme le cheminement d’un être des enfers vers la première voie, celle du purgatoire (Petits Mystères), et vers la seconde, celle du paradis (Grands Mystères). René Guénon observe du schéma enfer-purgatoire-paradis que “la distinction des trois mondes, qui constitue le plan général de la Divine Comédie, est commune à toutes les doctrines traditionnelles (…) il s’agit toujours d’une répartition hiérarchique des degrés de l’existence, qui sont réellement en multiplicité indéfinie, et qui peuvent être classés différemment suivant les correspondances analogiques que l’on prendra comme base d’une représentation symbolique.
Les Cieux sont les états supérieurs de l’être ; les Enfers, comme leur nom même l’indique d’ailleurs, sont les états inférieurs ; et, quand nous disons supérieurs et inférieurs, cela doit s’entendre par rapport à l’état humain ou terrestre, qui est pris naturellement comme terme de comparaison, parce qu’il est celui qui doit forcément nous servir de point de départ. L’initiation véritable étant une prise de possession consciente des états supérieurs, il est facile de comprendre qu’elle soit décrite symboliquement comme une ascension ou un « voyage céleste »; mais on pourrait se demander pourquoi cette ascension doit être précédée d’une descente aux Enfers. Il y a là, cela plusieurs raisons, que nous ne pourrions exposer complètement sans entrer dans de trop longs développements, qui nous entraîneraient bien loin du sujet spécial de notre présente étude ; nous dirons seulement ceci d’une part, cette descente est comme une récapitulation des états qui précèdent logiquement l’état humain, qui en ont déterminé les conditions particulières, et qui doivent aussi participer à la « transformation » qui va s’accomplir ; d’autre part, elle permet la manifestation, suivant certaines modalités, des possibilités d’ordre inférieur que l’être porte encore en lui à l’état non-développé, et qui doivent être épuisées par lui avant qu’il lui soit possible de parvenir à la réalisation de ses états supérieurs. Il faut bien remarquer, d’ailleurs, qu’il ne peut être question pour l’être de retourner effectivement à des états par lesquels il est déjà passé ; il ne peut explorer ces états qu’indirectement, en prenant conscience des traces qu’ils ont laissées dans les régions les plus obscures de l’état humain lui-même : et c’est pourquoi les Enfers sont représentés symboliquement comme situés à l’intérieur de la Terre. Par contre, les Cieux sont bien réellement les états supérieurs, et non pas seulement leur reflet dans l’état humain, dont les prolongements les plus élevés ne constituent que la région intermédiaire ou le Purgatoire, la montagne au sommet de laquelle Dante place le Paradis terrestre” 16 René Guénon, L’ésotérisme de Dante, Gallimard, Paris, 1925 .
Les deux voies initiatiques – ou purgatoire et paradis – reposent sur une même tradition politico-religieuse et spirituelle :
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d’un point de vue extérieur ou exotérique, la religion sert de cadre pensant et structure la société avec des lois adaptées aux talents naturels de chacun ; l’individu y “purge” ainsi ses tendances naturelles à l’égoïsme, à l’accaparement et au désir (qui sont une source d’enfermement hypnotique ou d’enfer) ;
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d’un point de vue intérieur ou ésotérique, les deux initiations permettent alors l’accès à la métaphysique ou à l’essence spirituelle commune à tous les êtres, quelle que soit leur fonction sociale.
Le danger de la religion, avec ses lois en fonction de la nature de chacun, est qu’elle identifie en apparence la tradition à un ensemble de coutumes. Or, ces dernières maintiennent l’homme dans un état de passivité qui peut lui être fatal, lorsqu’aucune transmission initiatique n’est plus donnée. C’est alors que la contre-initiation peut exercer toute sa puissance de séduction.
Traditions Vs Coutumes
René Guénon faisait ainsi remarquer les risques de confusion entre tradition et coutumes, entretenus par des expressions en apparence innocentes du langage commun : “Nous avons dénoncé à diverses reprises l’étrange confusion que les modernes commettent presque constamment entre tradition et coutume ; nos contemporains en effet, donnent volontiers le nom de “tradition” à toute sorte de choses qui ne sont en réalité que de simples coutumes, souvent tout à fait insignifiantes, et parfois d’invention toute récente : ainsi, il suffit que n’importe qui ait institué une fête profane quelconque pour que celle-ci, au bout de quelques années, soit qualifiée de “traditionnelle”. Cet abus de langage est évidemment dû à l’ignorance des modernes à l’égard de tout ce qui est tradition au vrai sens de ce mot ; mais on peut aussi y discerner une manifestation de cet esprit de “contrefaçon” dont nous avons déjà signalé tant d’autres cas : là où il n’y a plus de tradition, on cherche, consciemment ou inconsciemment, à lui substituer une sorte de parodie, afin de combler pour ainsi dire, au point de vue des apparences extérieures, le vide laissé par cette absence de la tradition ; aussi n’est-il pas suffisant de dire que la coutume est entièrement différente de la tradition, car la vérité est qu’elle lui est même nettement contraire, et qu’elle sert de plus d’une façon à la diffusion et au maintien de l’esprit anti-traditionnel.
Ce qu’il faut bien comprendre avant tout, c’est ceci : tout ce qui est d’ordre traditionnel implique essentiellement un élément “supra-humain” ; la coutume, au contraire, est quelque chose de purement humain, soit par dégénérescence, soit dès son origine même. En effet, il faut ici distinguer deux cas : dans le premier, il s’agit de choses qui ont pu avoir autrefois un sens profond, parfois même un caractère proprement rituel, mais qui l’ont entièrement perdu par le fait qu’elles ont cessé d’être intégrées à un ensemble traditionnel, de sorte qu’elles ne sont plus que “lettre morte” et “superstition” au sens étymologique ; personne n’en comprenant plus la raison, elles sont d’ailleurs, par là même, particulièrement aptes à se déformer et à se mélanger à des éléments étrangers, ne provenant que de la fantaisie individuelle ou collective. Ce cas est, assez généralement, celui des coutumes auxquelles il est impossible d’assigner une origine définie ; le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’il témoigne de la perte de l’esprit traditionnel, et en cela il peut sembler plus grave comme symptôme que par les inconvénients qu’il présente en lui-même. Cependant, il n’y en a pas moins là un double danger : d’une part, les hommes en arrivent ainsi à accomplir des actions par simple habitude, c’est- à-dire d’une façon toute machinale et sans raison valable, résultat d’autant plus fâcheux que cette attitude « passive » les prédispose à recevoir toute sorte de “suggestions” sans réagir ; d’autre part, les adversaires de la tradition, assimilant celle-ci à ces actions machinales, ne manquent pas d’en profiter pour la tourner en ridicule, de sorte que cette confusion, qui chez certains n’est pas toujours involontaire, est utilisée pour faire obstacle à toute possibilité de restauration de l’esprit traditionnel” 17 René Guénon, Initiation et Réalisation spirituelle, Editions traditionnelles, Paris, 1952, p.39.
Ainsi, le matérialisme, c’est à dire “la vie ordinaire” occidentale, tout comme les “habitudes traditionnelles”, sont des pièges qui non seulement voilent toute influence spirituelle, mais également entretiennent une confusion entre ces influences et les “traces (…) laissées dans les régions les plus obscures de l’état humain lui-même” (c’est à dire notre enfer intérieur ou les lieux et moments viciés).
Réflexion
Il y a donc un grand danger à pratiquer le Système de Guérison Spirituelle d’Usui sans comprendre ce qu’est une transmission initiatique régulière et en bonne et due forme, les influences qu’elle met en œuvre, et la notion même de tradition métaphysique, avec ses aspects religieux et ésotériques. Usui-san, comme le précise la stèle de son sanctuaire, possédait une culture le rendant apte à assimiler l’expérience spirituelle qu’il connut sur le Mont Kurama. Or ce n’est pas le cas de la majorité des enseignant(e)s occidenta(les)ux de son système, qui reçoivent sa transmission sans préparation ni préoccupation doctrinale.
Au début du XXe siècle, la pratique et l’enseignement du système Reiki Usui s’adressait uniquement à des nippons, dont les habitudes de vie étaient demeurées pour l’essentiel, traditionnelles. Ce n’est pas le cas en Occident, et cela explique les formes de Reiki new-âge déviantes apparues aux Etats Unis depuis les années 80. Ce risque de déviance n’apparaissait qu’au second degré, lorsqu’il s’agit de considérer les aspects psychiques de l’individu. Toutefois, en modifiant les instructions de soin de Mikao Usui, Hawayo Takata (celle ayant introduit en occident la première version originelle modifiée du système Reiki Usui) a malencontreusement ouvert la porte à une subversion constante et continue du système Reiki Usui traditionnel, dont la finalité est sa transformation en contre-initiation, de nature dissolvante et malsaine. C’est là un comble lorsque l’on se souvient que Mikao Usui imposait, dans son manuel de soin, de d’abord rendre sa pensée claire et conforme à la vérité, avant d’envisager de conserver notre corps en bonne santé.
Et le Reiki new-âge propose évidemment l’inverse: se concentrer sur le corps pour mieux subvertir la conscience..en d’autres termes, une contre-initiation en bonne et due forme.